mardi 12 janvier 2010

De la démocratie participative chez les singes

De la démocratie participative chez les singes
Article paru dans l'édition du 15.10.09
« Etude comparative de l'influence des relations sur l'organisation des déplacements collectifs chez deux espèces de macaques »




haque jour, des millions d'êtres humains prennent des décisions collectives : des citoyens élisent leur président, les ouvriers et cadres s'entretiennent à propos de l'avenir de leur entreprise, les amis choisissent le restaurant dans lequel ils vont aller dîner ce soir. Bien que dans certains gouvernements, un dictateur impose ses choix, la majorité des décisions, quelle que soit l'échelle du système - famille, entreprise ou Etat - se fait de manière démocratique. La démocratie a longtemps été considérée comme l'apanage de l'espèce humaine. Pourtant, des systèmes similaires existeraient chez les animaux.
De nombreuses espèces animales, dont les humains, vivent en groupes sociaux. Cette stratégie permet, entre autres, de diminuer la pression de prédation ou d'augmenter l'efficacité de recherche alimentaire. Il est connu, par exemple, que les bisons adultes encerclent leur progéniture afin de la protéger lorsqu'ils sont attaqués par des loups, ou bien que la matriarche chez les éléphants est le seul membre du groupe à connaître les points d'eau non épuisés en période de sécheresse.

Cependant, l'état physiologique et donc la motivation diffèrent d'un membre du groupe à l'autre : certains individus vont vouloir à un moment donné manger un aliment protéinique ou glucidique, tandis que d'autres vont vouloir aller à un point d'eau pour boire. C'est pourquoi l'ensemble des membres du groupe doivent faire des compromis et atteindre un consensus afin de satisfaire chacun, tout en empêchant la scission du groupe. Grâce à un tel consensus, les animaux peuvent se déplacer collectivement de l'endroit où ils se trouvent vers l'endroit où ils veulent aller.

Mes travaux de recherche ont mis en évidence que les macaques de Tonkean prenaient leurs décisions de manière démocratique, grâce à un système de vote. Cela leur permet de satisfaire la majorité des individus tout en conservant la cohésion sociale du groupe. En effet, avant le départ d'un déplacement collectif, les individus vont « voter » à propos de leur destination future. Certains individus vont s'orienter et avancer de quelques mètres dans une direction, tandis que d'autres vont indiquer une direction différente. D'autres macaques peuvent ensuite rejoindre l'une ou l'autre des directions, en fonction des affinités qu'ils entretiennent avec leurs congénères ou du nombre d'individus déjà orientés dans chaque direction.

Puis, à un moment donné, le groupe tout entier va se déplacer dans une seule direction, celle pour laquelle la majorité d'individus a voté. De plus, le moment où le groupe part n'est pas aléatoire non plus puisque cette décision nécessite qu'un quorum soit atteint. En effet, il faut qu'il y ait un seuil minimum d'individus « votants » pour que l'ensemble des membres du groupe choisisse de partir dans la direction de la majorité. Mon étude est la première à démontrer quantitativement un système complexe de vote chez les primates, analogue à ceux décrits chez les humains.

Cependant, il semblerait que les règles sous-jacentes aux décisions collectives chez les primates soient similaires aux règles de quorum décrites chez les insectes. Quand l'essaim ou la colonie devient trop important, les abeilles ou les fourmis migrent vers une nouvelle ruche ou fourmilière. Avant cette migration, plusieurs sites potentiels sont identifiés et les insectes doivent décider collectivement dans quelle nouvelle ruche ou fourmilière s'installer.

Ce consensus se fait également par un système de quorum et de communication - la célèbre danse des abeilles ou les pistes de phéromones chez les fourmis. Lorsqu'une majorité de fourmis ou d'abeilles a indiqué son choix, alors toute la colonie se met en route vers ce nouveau nid. Ce processus de choix est également décrit comme un système de vote par les chercheurs, malgré les règles simples sous-jacentes : les insectes réagissent à un seuil de quantité de phéromones ou d'activité, sans aucune conscience ou intentionnalité de la part de ces derniers. C'est un système expliqué par des règles empruntées aux lois de la physique et de la chimie : les animaux réagissent à un seuil comme une molécule organique change de conformation lorsque la quantité seuil d'un principe actif est atteinte.

Les chercheurs ont pendant longtemps cherché à comprendre les origines culturelles ou génétiques de la démocratie chez l'homme. Or ces études récentes montrent que des processus de vote existent des insectes aux primates et que leurs règles de fonctionnement sont relativement simples. Ainsi, des principes généraux sous-jacents aux décisions collectives s'appliqueraient chez les animaux sociaux, quelle que soit l'espèce, démontrant ainsi une homogénéité des mécanismes au sein du règne animal.

Ces interprétations parcimonieuses nous amènent à remettre en question l'idée communément admise selon laquelle il existerait une frontière entre l'homme et les autres espèces animales.

Cédric Sueur

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